Note sur la mise en place de la spécialité NSI (Décembre 2019)

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La présente note fait suite à la publication par la DEPP des premiers résultats statistiques sur le choix des spécialités par les élèves entrés en classe de Première générale en 2019, ainsi que des premiers retours d’information recueillis par la Société informatique de France sur le déploiement de NSI.

 

La Société informatique de France (SIF) ne peut que se réjouir de la place non négligeable prise par la spécialité Numérique et Sciences Informatiques (NSI), choisie par 31 500 élèves (un peu plus de 8% des élèves entrant dans la voie générale après la classe de Seconde Générale et Technologique), sachant que l’enseignement de spécialité ISN (pour les classes de Terminale S, mis en place à partir de 2011-2012) touchait environ 20 000 élèves. C’est ainsi qu’un enseignement d’informatique peut, enfin, se faire une place visible au sein de notre système éducatif.

 

L’examen détaillé des statistiques fournies par la DEPP soulève cependant plusieurs questions, que cette note a pour but d’exposer.

La répartition filles-garçons

Le tableau 1 du document de la DEPP nous révèle un choix très “clivé” entre filles et garçons au sujet de la spécialité NSI : 2,6% des filles contre 15,2% des garçons. Il est ainsi indispensable de s’interroger sur ce déséquilibre flagrant au moment même où ce nouvel enseignement démarre. Les données publiées par la DEPP ne permettent pas de savoir de manière précise quelle est la composition moyenne dans chaque classe de NSI, mais on peut l’estimer sur la base du pourcentage de filles en lycée général et technologique (actuellement 54%), suggérant qu’il y a près de 209 000 filles en Première générale pour 386 600 élèves au total. Cela nous conduit à près de 17% de filles dans les “classes” de NSI; à titre de comparaison, il y avait environ 28% de filles inscrites dans l’enseignement de spécialité ISN. La question de la différence entre les choix des filles et ceux des garçons mériterait un traitement au plus haut niveau. Le tableau 4 nous en donne un aperçu par le biais des choix les plus courants des “triplettes” de spécialités, avec des taux de féminisation très poussés sur certaines combinaisons (comme “Humanités littérature et philosophie, langues littérature, SES” avec 85% de filles) et très faibles sur d’autres (comme “Mathématiques, numérique & sciences informatiques, physique-chimie” avec 13,4%).

Tout semble se passer comme si, dans le processus d’orientation, les choix des élèves étaient généralement déterminés par leur sexe, manifestant un défaut d’ouverture préjudiciable tant à la société qu’aux intéressés, captifs de logiques de décision qui les dépassent. L’absence de mobilisation de l’institution sur cette question fondamentale est profondément regrettable.

La SIF suggère la publication systématique de statistiques distinguant filles et garçons.

La répartition géographique

Le tableau 5 nous donne la répartition des choix des élèves selon leur académie ; malheureusement, ce tableau se limite aux 15 “triplettes” les plus courantes alors qu’une répartition par spécialité aurait été plus informative. Cependant, NSI étant le plus souvent “couplée” avec Mathématiques et Physique-Chimie, une idée générale peut être obtenue. Le premier constat est celui d’une disparité assez forte sur ce choix, allant de 7,1% (académie de Versailles) à 1,9% (académies de Dijon et Limoges et Mayotte). 

En considérant la colonne voisine (Maths, Physique-Chimie, SI), on découvre une “triplette” aux caractéristiques fort voisines (de tonalité nettement scientifique, choisie par près de 16 000 élèves, très majoritairement des garçons) ; les écarts sont toutefois importants d’une académie à l’autre, par exemple : 

 

Maths-PC-SI  Maths-PC-NSI 
Versailles 3,7% 7,1%
Dijon 6,0% 1,9%

 

On comprend qu’il y ait des choix stratégiques au niveau des rectorats, mais en parvenir à une telle disparité n’est pas raisonnable. Quelle particularité pourrait donc avoir la Bourgogne, par rapport à l’Ile-de-France, pour que les élèves choisissent de faire des sciences industrielles plutôt que de l’informatique, et vice-versa ?

Plus généralement, on peut distinguer un petit groupe d’académies (Versailles, Nice, Caen, Orléans-Tours, Bordeaux, Paris, Lille, Montpellier) où la triplette Math-Physique-NSI est plus fréquente que la triplette Maths-Physique-SI, et un autre groupe d’académies (Aix-Marseille, Lyon, Toulouse, Besançon, Nancy-Metz, Nantes, Strasbourg, Grenoble, Créteil, Rouen, Poitiers, Dijon, Limoges) où c’est exactement l’inverse.

Une action forte, au niveau du Ministère, paraît ici encore nécessaire pour que les choix des élèves s’appuient sur leurs appétences et sur les réalités socio-économiques des territoires.

La répartition public-privé et l’évaluation des enseignements/enseignants

Le tableau 1 montre aussi un équilibre quasi parfait dans les stratégies de choix des élèves vis-à-vis de NSI entre les lycées publics et les lycées privés. Cela pose tout de suite une question : d’où viennent les enseignants de NSI exerçant dans l’enseignement privé, comment ont-ils été formés, ont-ils été bénéficiaires des diplômes de formation inter-universitaires (DIU), ou non ? 

Plus généralement, la question de l’évaluation des enseignements et des enseignants de NSI se pose. Cette question est importante car une partie de l’évaluation des élèves dans la perspective du baccalauréat se fait désormais au sein des établissements dans le cadre d’un contrôle continu.

Le positionnement de NSI dans les stratégies d’orientation

Le tableau 2 met en évidence un panorama clivant, avec des spécialités dites “scientifiques”, largement choisies par les élèves issus “d’origine sociale très favorisée ou favorisée”, et des spécialités dites “littéraires”, largement choisies par les élèves issus “d’origine sociale moyenne ou d’origine sociale défavorisée”. 

Concernant NSI, précisons que cet enseignement ne présuppose pas un parcours scolaire antérieur particulièrement réussi, ni un fort bagage culturel, ni un soutien familial plus conséquent. Une première hypothèse se dégage ici : les élèves (ou leurs parents), au moment de choisir leur spécialité, pourraient avoir jugé que NSI était surtout destiné aux élèves « brillants », munis de bulletins élogieux.

C’est ici la question du positionnement de la spécialité NSI qui se présente, en lien avec son programme d’apparence plutôt théorique et abstrait. Il est à craindre que les choix fondamentaux opérés pour ce programme aient eu pour effet (involontaire, il va de soi) de le rendre peu attractif. Modifier ce programme n’est pas envisageable à brève échéance, mais on peut toujours faire évoluer la communication, dans le but de susciter une meilleure perception des enjeux et davantage d’adhésion.

Hypothèses et réflexions sur ces constats

Au delà de ces deux constats : nombre de filles très bas qui suivent NSI et disparité territoriale entre les régions, il semble important de compléter ce tableau avec un retour d’information issu des contacts de la Société informatique de France impliqués dans le déploiement de NSI. Ces informations recueillies nous permettent d’avancer plusieurs hypothèses et réflexions sur les explications possibles face à ces constats :

  • NSI est une nouvelle spécialité : “on n’aime pas essuyer les plâtres”.
  • Un programme NSI perçu comme (trop) dense par les élèves et leurs parents a conduit à penser que la spécialité est réservée aux “bons élèves”.
  • Les élèves et leurs parents ont pu avoir l’impression, au moment du choix, d’une absence de corps enseignant formé ou d’une formation précipitée, même si la mise en place d’un DIU a permis de former de nombreux professeurs de façon coordonnée sur tout le territoire. À noter que la création du CAPES est un gage de respectabilité pour cette spécialité et devrait faire disparaître cette crainte, même si une fois encore le nombre de postes proposés semble faible par rapport au nombre de professeurs nécessaires. 
  • Un système d’accompagnement (conseiller d’orientation, professeur, salon étudiant, communication institutionnelle sur la discipline…) qui n’est pas familier des contenus de NSI et des débouchés(1) du numérique, que ce soit pour les futurs techniciens et ingénieurs en informatique, comme pour tous les autres métiers qui seront plus ou moins fortement impactés par le numérique. 
  • La spécialité NSI n’est peut-être pas proposée suffisamment dans certains territoires.
  • Pour les “bons élèves” qui visaient une classe préparatoire (CPGE), l’absence d’une voie mathématiques- physique – informatique (MPI) au moment de leur choix peut les avoir influencés à ne pas prendre NSI dès la Première. 
  • Le fait qu’en Terminale seules deux spécialités sont conservées par les élèves est en défaveur de nouvelles spécialités comme NSI.

Propositions/recommandations

La SIF recommande la poursuite de la publication de données plus complètes pour pouvoir mieux les étudier et les croiser afin de répondre précisément aux questions relatives aux choix respectifs des filles et garçons, ainsi qu’aux choix liés aux territoires.

 

Au vu de l’urgence, dans la mesure où les choix des élèves pour la rentrée 2020 se feront dans quelques semaines, pour tenter de remédier à ces constats, la SIF recommande de cibler des actions coordonnées et rapides sur les points suivants :

  • L’enseignement SNT pourrait faire évoluer cette situation : la formation des enseignants de SNT doit être poursuivie et renforcée. Le projet CHICHE porté par de nombreux partenaires dont le MENJ, INRIA, le CNRS, la FBP et la SIF va dans ce sens ;
  • Il faut prendre soin d’expliquer que le programme NSI n’est pas réservé aux bons élèves et sensibiliser très tôt les élèves au fait que la discipline informatique n’est pas qu’une affaire de garçons ;
  • La disparité filles/garçons et les disparités territoriales doivent être questionnées rapidement au plus haut niveau du MENJ et des mesures d’urgence doivent être prises et déployées pour la rentrée prochaine.

Contacts:

Société informatique de France Institut Henri Poincaré • 11 rue Pierre et Marie Curie • 75231 PARIS Cedex 05

president@societe-informatique-de-france.fr • 09 72 34 22 00 • http://societe-informatique-de-france.fr


(1) La SIF avec de nombreux partenaires est engagée dans la création d’une brochure Zoom ONISEP qui contribuera à mieux faire connaître les métiers des mathématiques et du numérique.

 

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