Instituts du CNRS : les mots pour les dire

Si, comme l’affirmait Albert Camus, « mal nommer un objet, c’est ajouter du malheur au monde », on ne peut que se réjouir que le CNRS dote aujourd’hui ses instituts de noms d’usage explicites et de noms officiels plus précis. Pour l’informatique,  l’INS2I (re)devient[2] l’Institut des sciences informatiques et de leurs interactions, avec comme nom d’usage CNRS sciences informatiques.

Longtemps invisible aux yeux du profane, l’informatique est depuis toujours au cœur des activités de recherche de l’INS2I. Pourtant, étrangement, aucun des « I » de l’acronyme de cet institut ne référençait jusqu’ici l’initiale du mot « informatique » : le deuxième « I » signifiait « Information ».  Étonnant ? Pas vraiment, tant il semble que la science informatique est CelleDont-On-NeDoitPasPrononcer-Le-Nom. De périphrases en expressions-valises : « sciences de l’information », «  sciences du numérique », « sciences du digital », l’informatique est rarement nommée pour elle-même mais le plus souvent amalgamée à d’autres autres sciences « dures » ou « humaines ».  Peut-on dès lors s’étonner du manque de vocations des jeunes pour notre discipline et tout autant des erreurs d’aiguillage de ceux qui la choisissent sur un malentendu ? En renommant l’INS2I, le CNRS adresse deux messages essentiels non seulement à la communauté des chercheurs mais aussi, plus largement, à la société tout entière : le socle scientifique des recherches de l’INS2I se fonde bien sur l’informatique et l’informatique ne s’y envisage pas seulement pour elle-même mais aussi dans ses interactions avec d’autres disciplines.

Cependant, un nouveau débat terminologique surgit. Il avait déjà point lors de l’apparition de la spécialité « Numérique et sciences informatiques » au lycée. Doit-on parler de « la science informatique » ou « des sciences informatiques » ? Affirmons ici notre conviction : il existe une unité au sein de la science informatique, une cohérence globale reposant sur ses quatre piliers fondamentaux : Données, Machines, Langages, Algorithmes et sur leurs interactions. Cette unité justifie à elle seule de parler de et au nom de « la science informatique ». Mais cette même vision met  également en exergue sa diversité intrinsèque. Singulière et plurielle, voilà donc l’informatique au cœur des recherches de l’institut « CNRS Sciences informatiques » dont le nouveau nom incarne explicitement cette variété au regard des profanes.

Si vous ne l’avez déjà fait, prenez connaissance des nouveaux noms d’usage de tous les instituts[3] du CNRS. Rien ne vous surprend ? Si le CNRS a, selon les instituts, ciblé plutôt la discipline (physique), plutôt l’objet (Terre), ou plutôt l’application (nucléaire), il a choisi de singulariser l’INS2I, « CNRS Sciences informatiques », seul nom d’usage se revendiquant explicitement des « sciences ». Choix incongru ? Pas vraiment. La polysémie du mot informatique : science, technique et industrie, ajoutée à son offuscation récurrente dans les expressions-valises précitées justifie pleinement de laisser explicitement le mot sciences pour éviter d’éventuelles confusions. Là encore le CNRS fait œuvre de pédagogie.

Félicitons-nous à nouveau du choix heureux du CNRS d’employer « informatiques », pluriel certes singulier,  pour nommer son Institut dont  l’objet est l’informatique au sens large. Bien nommer un objet, à défaut d’ôter le malheur évoqué par Camus,  constitue un pas décisif sur le chemin de sa meilleure compréhension. Espérons que cette initiative en inspirera d’autres et qu’ainsi bien nommées, les « sciences informatiques » seront mieux appréhendées par l’ensemble des acteurs de la société.

[1] Les mots pour le dire. Marie Cardinale, 1975.

[2] « Institut National des sciences informatiques et de leurs interactions » à sa création en 2009 et pendant ses premières années d’existence, l’INS2I était devenu quelques années après « Institut National des sciences de l’information et de leurs interactions ».

[3] https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/les-dix-instituts-du-cnrs-se-dotent-de-noms-dusage.

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